Le gros problème du R&B français ? Il tient en un mot : la puissance vocale. Trop de divettes que l’on s’abstiendra de nommer croient qu’un filet de voix suffit à faire illusion. Avec Djany, c’est une toute autre histoire.
D’abord parce que cette jeune artiste d’origine congolaise née à Paris n’a pas attendu l’adolescence pour donner de la voix. C’est à l’église, dès son plus jeune âge, qu’elle a fait son éducation musicale. « Ma mère est chanteuse, et dès mes quatre ans j’étais dans la chorale de son église. Je ne me suis pas demandé si j’aimais la musique, je suis tombée dans la casserole. J’ai compris que je voulais être chanteuse à l’âge de dix ans ». C’est donc avec sa maman Céline, choriste pour Youssou N’dour, les Wailers, Céline Dion et des dizaines d’autres pointures, que Djany fait ses classes. Sa première scène, elle s’en souvient comme si c’était hier : « J’avais six ans, ma mère devait chanter un solo et je lui ai dit de me porter sur la scène. Le chef de la chorale, Georges Séba, était d’accord. J’ai demandé le micro. Et j’ai chanté. C’est un souvenir fort. Je n’avais même pas le trac ! Quand on est un enfant, on ne se rend pas compte ».
Quand Djany commence à écrire ses premières chansons, elle utilise la musique comme un exutoire. « Comme ma mère ne voulait pas qu’on dise des gros mots à la maison, je les écrivais. C’était une façon de me défouler et de me dévoiler. L’écriture a toujours été le moyen d’exprimer mes émotions. Mes premiers textes, quand j’étais petite, parlaient beaucoup des enfants, de la souffrance, de ce que je voyais dans la rue ». Djany grandit à Sarcelles, où elle croise la route des prestigieux ainés (« Ministère Ämer, Passi, toute la clique ! »).
La source dans laquelle Djany puise son inspiration, c’est avant tout le gospel. Le R&B est la suite logique, puisque l’immense majorité des chanteuses soul américaines a commencé par louer le Seigneur avant de s’aventurer en territoire pop. Pour Djany, pas question de brûler les étapes. Après quelques années avec le chœur gospel de Paris et des dizaines d’albums enregistrés comme choriste, elle est contactée par le label Première Classe, spécialisé dans le rap français de qualité. Un premier flirt avec le showbiz.
Son apprentissage des planches, Djany le fait comme choriste sur les tournées et sur les plateaux de la Star Academy, où elle a été sollicitée de façon régulière depuis ses seize ans. « La Star Ac’ c’est une école de ouf, les gens ne se rendent pas compte. Mes potes danseurs de Sarcelles, je les retrouvais là-bas. Les meilleurs artistes de ma génération étaient sur le plateau de la Star Ac’. C’était un vivier de talents, pas au niveau des élèves mais de tout ceux qu’il y avait autour ». Djany grandit sous la lumière des projecteurs, mais la France est un terrain de jeu trop restreint pour son ambition et son talent.
Elle part un an aux USA, accueillie par le guitariste des Commodores, un ami de sa mère. Fait une école de jazz à Paris. Refuse des offres de maisons de disques impatientes de lui imposer des clichés qui ne lui conviennent pas. « L’important c’est de faire ce qu’on aime, et je voulais pouvoir assumer ce que je faisais », explique-t-elle. Sur la route avec Christophe Maé en 2009/2010, Djany travaille jour et nuit, cumulant concerts le soir et maquettes en studio la nuit.
Alors qu’elle commence à douter de trouver le contrat adéquat, une rencontre va tout changer. Benjamin, ami de sa mère depuis l’époque où il était le manager de Tonton David, est en train de prendre la direction du label Def Jam France. Il donne sa chance à Djany, et une audition suffit à le convaincre : il tient sa première signature R&B française.
« Quand tu es noire ou métisse et que tu fais un produit avec une belle image, on va forcément te comparer à Rihanna ou Beyoncé, parce que ce sont elles qui tiennent le marché. Je prends ça comme un compliment, je les kiffe, j’assume les comparaisons. Mais après, c’est à moi de faire découvrir qui je suis ». Une découverte qui va passer par un travail intensif pour sélectionner les beats, les ambiances, le son. Le premier résultat sorti des sessions studio de Djany est “PS I Love You”, avec une instru lourde et des textes en français qui sonnent juste. « Pour chanter en français, il faut l’art et la manière. J’ai travaillé la place des syllabes, des consonnes, c’est la façon de se placer qui va donner le flow. Ça n’est pas évident. Quand tu as compris ça, chanter en français devient plus facile ».
Les titres s’enchaînent, avec en dénominateur commun un sens du groove à l’américaine. Chaque chanson est travaillée comme un single, qu’il s’agisse du très efficace “On Gère”, qui cite Rihanna dans les paroles, ou de “Paroles En L’Air” featuring le gentleman du ghetto Nessbeal, premier clip de l’album. Avec “Hugo”, une ballade émouvante aux accents gospel, et “Miroir”, texte poignant évoquant l’anorexie sur fond de piano lancinant, Djany prouve qu’elle a une profondeur qui échappe à nombre de ses collègues chanteuses. La densité de sa voix rend crédible ses chansons au tempo lent, et donne une épaisseur inédite à ses morceaux midtempo comme “Cours”, dont le refrain évoque le titre de Justin Timberlake/50 Cent “Ayo Technology”. Avec “Fast Life”, Djany s’aventure en territoire hip-hop dancehall, et ça claque façon New York.
À chaque nouveau titre, on mesure le potentiel de Djany, dont la jeunesse contraste avec le professionnalisme forcené dont elle fait preuve. Issue de la génération fast life, certes, mais bosseuse à l’ancienne : Djany est bien plus que la Rihanna française. Elle est la synthèse de la pop, du R&B et du gospel dans un corps de jeune femme prête à entrer dans la cour des grands.
Djany a débarqué, et ça va être compliqué de ne pas en tenir compte.