Certains pensent que le rap, c’est comme la prison. On n’en sort jamais vraiment. Quoiqu’on fasse, que l’on dise, on reste à jamais enfermé dans le regard des autres. Musique de la cité, de la racaille, survêt’, chaîne en or, casquette à l’envers : les clichés collent au genre comme à la peau de ceux qui l’animent. Dans le lot figurent pourtant quelques évadés, tel Féfé, qui parviennent à échapper à la fatalité des à prioris sans se renier. Ancien membre de Saïan Supa Crew, collectif qui dans les années 90-2000 initia un rapprochement entre le hip hop et divers courants (reggae, bossa nova...), Féfé a réussi, mieux qu’une reconversion, une extension de ses compétences musicales avec un premier album solo Jeune à la Retraite récompensé par un disque d’or en 2009. Recherchant un espace d’expression plus vaste où il pouvait rendre compatible la diversité de ses goûts, il s’est affranchi des limites dans lesquelles le rap reste souvent cloisonné pour porter le message de vigilance et de tolérance que lui inspire son expérience personnelle. Avec Le Charme des Premiers Jours, second chapitre de sa saga solitaire, il franchit une nouvelle étape dans la réalisation d’un univers qui lui corresponde, où entrent en synergie sons analogiques et digitaux, instruments et samples, harmonies vocales et flow, rap et rock, folk et soul, chanson et reggae.
Samuel Adebiyi de son vrai nom, Féfé naît en 1976 à Clichy la Garenne de parents d’origine Yoruba du Nigeria. Il passe l’essentiel de sa jeunesse dans une cité de Noisy-le-Sec en banlieue parisienne. Son père mélomane lui fait découvrir Marvin Gaye, Curtis Mayfield, Otis Redding et Fela Kuti tout en l’incitant à s’intéresser au rap, « la musique de ta génération ». Conseil qu’il suit à la lettre en fondant OFX, embryon qui va donner naissance à Saïan Supa Crew. Le succès que remporte le groupe (disques de platine, Victoire de la Musique) ne le dispense en rien d’une remise en cause pleine de panache qui à la fin 2000 l’éloigne d’un Hip Hop devenu trop suiviste pour reconquérir une liberté qui faisait le charme du rap à ses débuts. C’est d’abord le chanteur Patrice qui lui offre une guitare acoustique sur laquelle Féfé ébauche ses premières chansons. Puis une rencontre avec Dan The Automator des Gorillaz qui l’oriente à travers la galaxie des sons sur Jeune à la Retraite. Le même Dan The Automator tient les manettes dans Le Charme des Premiers Jours, enregistré entre Paris et San Francisco, suite d’une aventure où se révèle toute la générosité de ce chanteur rappeur plus affamé de musique que jamais, plus lover que fighter, dont la maturation artistique se double d’une maturité humaine qu’imprègnent gravité, tendresse, humour.
Comme une profession de foi, comme l’aveu d’une confiance en soi qui n’a cessé de croître depuis le premier album, Le Chant d’Une Etoile propose en ouverture une marqueterie sonore reflétant une esthétique propre à l’ensemble du disque. C’est aussi un défi à suivre Féfé dans la conflagration d’une guitare hendrixienne, d’un clavecin pop, d’un beat coup de poing... « Sans aucune tenue exigée », il prévient qu’il va « réviser les genres : rap, pop et reggae, blues, rock et soul ». Parole tenue sur La Parodie qui par le biais d’un mix soul folk percutant proclame ce qu’il a toujours voulu éviter: devenir une caricature, un musicien qui tourne en rond. De là, il peut baisser sa garde, s’abandonner, dire « je t’aime » à ses enfants (La Somme) parce qu’il est désormais homme à se sentir fort au point de se montrer fragile. Au point de répéter les mêmes trois mots dans Words... Il y a du Marley dans ce Féfé là, celui de Could You Be Loved ? Il y en a aussi dans Ailleurs, reggae roots qui active une réflexion sur l’idée que l’herbe serait toujours plus verte autre part alors qu’au fond, la terre promise n’est jamais qu’en soi-même. Pour Féfé, elle aurait pu ressembler à cette France, à cette Gaule, qu’il aime et dont il doute de la réciprocité. Elle se situe aussi en Afrique, plus particulièrement au Nigeria, patrie de ses ancêtres à qui il rend un hommage folk dans Doux Pays, doux mais aussi amer. C’est vers cet horizon qu’il se dirige en dernier lieu après avoir fait circuler son imagination et ses références musicales dans des moments audacieux, drôles, impérieux ou tendres, des moments de pur plaisir partagé, tels que Le Charme avec son intro mélo empruntée élégamment au Right On For The Darkness de Curtis Mayfied tels que Only Love, joli accroche cœur pop, ou On me dit, mento ska dynamité façon Gnarls Barkley. « Je crois au mélange » nous dit Féfé. Traduit comme sur ce disque, difficile de ne pas y croire avec lui.