IAM est un groupe de rap français, originaire de Marseille, créé en 1989 et composé d'Akhenaton (Philippe Fragione), Shurik'n (Geoffroy Mussard), Kheops (Éric Mazel), Imhotep (Pascal Perez), Kephren (François Mendy). Le groupe a marqué les débuts du rap des années 1990 en France.
Sérieusement, faut-il encore présenter IAM en 2013 ? Pour ceux qui auraient passé les deux dernières décennies sur la planète Mars, un bref résumé de ce crew sudiste légendaire : Fondation en 1988, première cassette (Concept) en 1989, premier hit en 1994 (“Je Danse Le Mia”), première Victoire de la Musique en 1995, premier million d’albums vendu en 1998 (L’École Du Micro D’Argent), premier featuring R&B US en 2003 (Beyoncé), premier concert en Egypte au pied des pyramides en 2008 pour fêter vingt ans d’existence.
Un quart de siècle au service du hip-hop, à empiler des sons, à construire des édifices rapologiques en groupe, en solo, pour d’autres artistes. Une carrière exemplaire qui n’est pourtant qu’une esquisse, car comme tous les grands artistes, toutes catégories musicales confondues, IAM n’existe qu’en mouvement. Le son est leur poker, et ils remettent leur butin en jeu à chaque nouvelle aventure.
Les fans attendaient depuis des mois un projet pharaonique : un album en collaboration avec le compositeur Ennio Morricone. Mais les pesanteurs administratives et les intermédiaires tatillons compliquent les choses. Le 20 septembre 2012, le groupe décide de changer de direction. Mais les impératifs de studio font qu’il ne leur reste que peu de temps avant de livrer leur nouveau disque. Akhenaton : « Il y a eu un esprit de compétition parce qu’on est repartis à zéro et on s’est dit qu’on allait défoncer l’album. On a complètement retravaillé le disque. Donc Jo (Shurik’n) et moi, dans l’écriture, on est partis sur quelque chose d’assez sauvage. On écrivait un couplet, l’autre posait, on complétait, ça partait dans tous les sens. C’était des très grosses journées, on arrivait tôt le matin et on repartait tard le soir. On se pose parfois la question de savoir si on reste créatif et prolifique en faisant des choses dans un laps de temps court, la réponse est oui. On s’est rassurés nous-mêmes ».
IAM décide de se faire plaisir, de pratiquer « l’osmose par le haut », d’aligner les textes de haut niveau. En studio, Imhotep met les bouchées doubles et enchaîne une dizaine de sons puissants, la colonne vertébrale musicale de l’album. Aidé par des musiciens de talent comme le pianiste Sébastien Damiani, il allie beats d’acier et subtils samples ethniques, comme sur le futur classique “Benkei & Minamoto”, dans lequel Akhenaton et Shurik’n racontent la geste de rônins légendaires. Une MPC 3000 et un SP 1200, les outils “traditionnels” du rap vintage, sont les armes de ce samouraï sonique. DJ Kheops arrange plusieurs titres et, cerise sur le gâteau instrumental, il pose ses scratches furieux sur la quasi totalité des compositions.
L’ambiance est studieuse, passionnée, familiale. Seul Faf Larage, frère de Shurik’n, vient poser quelques contributions vocales et instrumentales. Pas de Ricain au featuring tarifé. Akhenaton assume ce choix : « On est en charge du budget et notre réflexion, c’est que si le feat américain se déroule avec un échange, comme c’était le cas avec Beyoncé, pas de problème. Mais s’il doit être payé plusieurs dizaines de milliers de dollars, on préfère faire deux vidéos avec l’argent. C’est la philosophie du groupe. On n’a besoin de personne ».
Les 17 titres de ces Arts Martiens en sont une démonstration éclatante : émotions fortes, textes sombres, poésie du bitume et envolées lyriques se bousculent, dans un flow de créativité qui fait le lien entre passé glorieux et futur radieux. Il y a quinze ans, IAM s’alliait au clan Wu-Tang pour une vidéo de science-fiction. En 2013, les MCs marseillais dévoilent leurs identités secrètes et s’amusent à devenir super-héros dans “Marvel”. Shurik’n : « Ce morceau est une ode à un type de littérature qui a bercé notre enfance et le début de notre adolescence. Les super héros, ça a toujours été notre côté mégalo. On est resté des grands enfants, et c’est un morceau qu’on a écrit en pensant beaucoup au visuel. On va se déguiser, s’amuser. On est plus Marvel que DC, définitivement ». « Et encore, on n’a pas dévoilé tous nos pouvoirs », rajoute “Tonton” Imhotep.
Shurik’n a beau tripper SF et comics (il utilisa l’alias Serval, mutant du crew X-Men, dans certains textes), il n’oublie pas de signer quelques morceaux de bravoure plus sombres et dérangeants. « J’aime créer des sensations bizarres chez les gens, c’est le type d’écriture qui me plait. Quand j’écris, il y a un côté sombre que j’aime bien explorer ».
L’actualité pointe le bout de son nez avec “Pain Au Chocolat”, digression sur le populisme purulent d’un homme politique prêt à repousser les limites de la démagogie. Shurik’n : « Il fallait bien qu’on l’ouvre. Il y a eu plein de dérapages mais celui-là était trop gros, il nous a donné plus d’idées ». « On envisage de lui reverser 0,00001 pour cent des bénéfices pour nous avoir donné l’idée de la viennoiserie », ironise Imhotep.
Après “Sombres Manœuvres/ Manœuvres Sombres”, récit virtuose d’un fait divers vu sous deux angles divergents, l’album se conclut avec un “Dernier Coup D’Éclat”, qui s’ouvre sur un des temps forts dans l’histoire du rap français : le discours d’IAM lors de leur Victoire de la Musique en 1995, catégorie Meilleur Groupe de l’année. Akhenaton explique ce retour vers le passé : « On s’est aperçu que malgré le fait qu’aujourd’hui on joue à Bangkok, Hong-Kong ou Varsovie devant 4, 5, 6000 personnes, il y a toujours des choses à rappeler. Ce qui est important dans ce morceau, c’est ce qui suit. Ça part des Victoires, des grands concerts, et ça finit dans des trucs intimes, complètement personnels ».
IAM déploie fièrement le drapeau d’un rap adulte, intense, plus actuel que jamais. Ces artistes « fiers, passionnés, prêts à tout sauf plier les genoux », comme le rappelle le single épique “Spartiate Spirit”, sont désormais des artistes Def Jam. Un label historique du rap US qui, comme eux, affiche plus d’un quart de siècle d’existence et une forme insolente.
Entrez dans la légende.
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IAM ils sont, IAM ils restent.
Les héros ne meurent pas, ils se contentent de grandir.
Olivier Cachin