A | B | C | D | E | F | G | H | I | J | K | L | M | N | O | P | Q | R | S | T | U | V | W | X | Y | Z | # |
Lartiste a été modeste en choisissant son nom. Le jeune chanteur qui est également rappeur, auteur et compositeur aurait dû s'appeler LePhénomène tant il est un cas à part. Tout comme ce disque, baptisé fort logiquement Lalbum, dont l'histoire est presque inhabituelle en ces temps où internet et son fameux buzz semblent faire et défaire les carrières.
Lartiste vit pour la musique. Il la respire. Educateur spécialisé dans la musique, il prodigue son savoir aux plus jeunes quand il ne transmet pas ses propres créations.
En 2011, poussé par son ami et collaborateur Rabah, il a déposé un album complet chez la major company EMI. Ni démo, ni mixtape : un véritable disque qui lui ressemble en tous points, fait par lui même, avec passion. Dans la multinationale : un directeur artistique d'une maison de disques a récupéré le pli. Les compositions du jeune talent de Seine- Saint-Denis mais aussi son approche séduisent par leur fraîcheur et efficacité. Il refuse le misérabilisme dans ses textes. il prône la paix, l'entraide et surtout le « kif ». Le soir de son entrevue avec quelques cadres du label qui l'a fait rêver avec des artistes comme Rohff, Diam's ou Soprano, Lartiste reçoit un coup de fil d'EMI : « Nous avons un contrat pour toi.».
Bien avant d'être Lartiste, le jeune homme est Youssef, né un 4 juillet en 1985, dans un petit village au sud de Marrakech.
6 ans plus tard, le changement d'environnement s'avère brutal : l'enfant débarque à Aulnay-Sous-Bois, en Seine Saint Denis, et rencontrait son père.
Neveu de chanteurs de raï, Youssef grandit avec la passion de la musique. Mais il est également un produit de son environnement. En 1998, après un déménagement à Bondy, l'adolescent, alors grand fan de Fresh Prince, intègre son premier groupe rap : Malédiction..A 13 ans, Youssef lâche des rimes inspirées par l'engagement des IAM et NTM qui régnaient à l'époque.
Le groupe n'a pas tenu très longtemps mais le jeune homme a trouvé sa voie. Pour lui, la musique n'est pas un hobby d'ado: c'est sa vie. Le rap lui a donné le goût de l'écriture des textes et de l'interprétation mais Youssef, curieux et passionné a profité de ses premières années de rap pour se pencher sur la composition et la production musicale. A 16 ans, il devient un artiste complet, et tout simplement... Lartiste.
La technique maîtrisée, il lui faut désormais l'accompagner d'une véritable expérience du métier. Le jeune talent enchaîne alors les petites apparitions et scènes. Il y gagne en vécu et sa musique en tenue. Son premier maxi solo, « Evasion », sorti en 2006 bien accueilli par les médias et en rupture de stock chez les disquaires spécialisés, matérialise sa progression et valide ses multiples talents. En pleine possession de ses moyens : Lartiste maîtrise désormais tous les aspects de la création musicale, d'une simple mélodie au piano aux rimes précises. Même s'il roule en solitaire, le musicien n'a jamais été du genre égoïste et décide de transmettre ses connaissances aux plus jeunes – et de manière officielle – en devenant éducateur spécialisé en musique à Montfermeil.
Même s'il est désormais apte à transmettre son savoir, il sait qu'on ne finit jamais vraiment d'apprendre et c'est avec le collectif French Cut,des artistes de l'image et du son, que Lartiste poursuit son développement. Musicien curieux et ouvert, il s'inspire du raï et du dancehall pour intégrer l'effet d'autotune à ses compositions dès2008. Il est le premier à l'utiliser pour le rap en France. Sa mixtape datée de 2010, Rap 1.9, confirme son évolution : le rappeur n'est plus un inconnu et s'affirme de plus en plus sur la scène française. Mais, comme quelques années plus tôt, avec son groupe Malédiction, le chanteur arrive à la croisée des chemins. Il continue sa route seul, mais cette fois bien plus sûr de son fait. Il continue de peaufiner son art et à définir son univers. Sensible au funk, à la soul mais aussi à la pop anglo-saxonne ou à l'electro, il profite de son indépendance artistique pour assumer ses goûts et les incorporer à sa musique. Le « kicker » comme on dit dans le rap, s'efface plus souvent devant le mélodiste.
Dès l'ouverture de Lalbum, on comprend le parcours et l'univers de Lartiste : un son large et mélodique, un univers unique et des textes personnels sans artifices. On trouve tout cela sur « L'étincelle », qui fait la part belle aux claviers et que le chanteur-compositeur dédie à sa mère. A la différence des usages du genre qui demanderaient un titre doux et mélancolique, il envoie un midtempo à la rythmique efficace sur lequel il exprime son envie de réussir, pour lui et pour ses proches.
Tout au long de son premier long format officiel, Lartiste ne se cache pas. Pas de masque, ni de faux semblant. Il sait que c'est en se livrant en toute honnêteté qu'il capte le mieux l'auditeur que ce soit sur « Toucher le ciel », un titre sur lequel il évoque ses ambitions comme ses erreurs de parcours sur une rythmique bien rap qui appuie une ensemble très orchestré ou sur « Tendre la main » inspirant et positif, construit autour d'une ritournelle de clavier. Ouvert par des arpèges de piano, l'auteur-compositeur-interprète se livre dans « Le poids de mes erreurs »comme rarement chez les artistes de sa génération : il ose dévoiler ses doutes ses inquiétudes mais réaffirme, également ses convictions : « plutôt mourir, que vivre dans l'aigreur »
Honnête et sensible, Lartiste n'est pas du genre à se lamenter mais plutôt à savourer les plus beaux moments de la vie, les petites joies et les grands bonheurs comme on le découvre tout au long d'un projet dont le maître mot tient en trois lettres : le KIF. Militer pour le sourire est presque un acte de bravoure dans les musiques urbaines en 2012 mais l'interprète et compositeur fait ce qui le chante et chante ce qu'il est comme sur « Rockstar », manifeste pop assumé sur lequel il déclare : "J'ai bousculé la zique, ne t'attends pas à ce que je m'excuse."
Avec l'explicite « Cool », un midtempo tranquille et léger porté par des choeurs féminins légers ou avec l'enjoué« M'évader », le premier single de l'album, il affirme sa passion de chaque instant pour son art. Sur « J'bénis le Mic », un peu plus rappé et proche d'un hip hop plus classique, il décrit son style de façon limpide, le sourire en coin : « l'autotune avec des cojones ».
Mais le sourire et le kif ne sont jamais loin avec Lartiste. On les retrouve sur « Babylove », un titre un peu vantard destiné aux « ladies » tout comme « Liouma » sur lequel il se fait plus crooner dans un titre uptempo, ouvertement club relevé par une mélodie aux sonorités orientales. Il ne baisse pas la cadence sur « Hello », gonflé par sa grosse basse synthétique qui tiendrait son rang dans n'importe quel club branché des Baléares. Tout au long de Lalbum, Lartiste dévoile l'étendue de sa palette musicale, nous surprend un peu plus à chaque titre, autant par la variété de ses compositions que pour leur efficacité. Si on reste dans le club sur « Africa 2.0 », la rythmique imparable va chercher dans le coupé-décalé et les arpèges de synthé fusionnent toutes les influences « de Chateau-Rouge à Barbès » et « d'Abidjan à Marrakech ». Et comme il le dit dans le souriant « International » : « La puissance est africaine, le style américain / Les chaussures sont parisiennes le gamos est Italien".
Pour Lartiste, le kif n'est pas un vain mot, et la musique pas une simple lubie. Loin d'être naïf, il a simplement choisi d'avancer en souriant et surtout de partager ses dons de chanteur et compositeur avec l'auditeur. Il nous offre un premier voyage dans un univers qu'il a façonné dans ses moindres détails, aux beats irrésistibles, aux mélodies entêtantes, aux influences multiples, entre hip hop, funk, musique orientales, pop ou electro et nous laisse sur une dernière surprise, un « Post Scriptum » à la rythmique jamaïquaine sur lequel il met les plus jeunes, garçons comme filles, en garde sur les pièges et les coups de la vie. Un somptueux final qui nous rappelle une dernière fois qu'en 14 titres libres et décomplexés, Lartiste a renvoyé dans la corbeille d'où ils n'auraient jamais dû sortir les clichés qui pesaient sur la musique née de l'autre côté du périph' parisien.
En brouillant les limites entre pop et musiques urbaines, simplement parce qu'il ose être lui même, Lartiste s'impose d'entrée avec Lalbum comme un artiste clairvoyant. Joli paradoxe.