Père d’une famille de trois enfants, Reeno rappe depuis une vingtaine d’années comme certains vont jouer au foot le dimanche matin. Avec la plus grande des passions, sans espérer devenir une star. La première partie de sa carrière, étroitement liée à son groupe essonnien Ul’Team Atom, prend un virage en 2004, avec la sortie du EP 10 titres Les Anges pleurent… et la rue chante.
« A ce moment-là, je rencontre le beatmaker
Kronos, que mon ami
Da Pro m’a présenté. Il avait un home studio bien élaboré. J’en ai profité pour commencer à enregistrer quelques solos et inviter des gens. J’ai alors pu entamer mon projet de compilation
Hors Sérim. » A cheval entre la mixtape et la compilation, le
premier volet de Hors Sérim sort
en K7. « C’était une street-compilation. A mon échelle, il avait fait beaucoup de bruit.tout s’était vendu très rapidement. A l’époque, non seulement il y avait moins de rappeurs qu’aujourd’hui, mais nettement plus de gens achetaient les projets. » Ce succès motive
Reeno à enchaîner avec une suite, sur laquelle il va convier son acolyte
Sinik. « A cette période, Sinik n’avait plus personne autour de lui et aucun projet de concret. Il n’avait pas de manager, voyait que j’enregistrais souvent. Il m’a demandé de sortir le projet en commun avec moi. C’est un mec avec lequel je traînais tous les jours à cette période, donc ça s’est fait naturellement. Entre temps, Sinik a commencé à buzzer, à avoir des contacts. Il s’est affilié à
Neochrome. »
Initialement,
Hors Serim 2 devait être un double CD. Plus de 30 morceaux avaient été maquettés pour ce projet. «
Yonea, qui s’occupait de
Sinik, avait senti qu’il allait tout éclater. Il m’a demandé de sortir le projet en deux vagues successives. »
Reeno accepte, retire quasiment tous les morceaux où ne figure pas Sinik et fait paraître
Hors Serim 1.5.
Bien qu’il sorte « à l’arrache », l’intégralité des exemplaires pressés trouve preneur rapidement. Entre la parution de Hors Sérim 1.5 et
Hors Sérim 2, Sinik signe en maison de disques. Ce dernier projet était pourtant finalisé. « Le 21 juin 2004, jour où il devait sortir, tout est tombé à l’eau. Du jour au lendemain, je n’ai plus eu de nouvelles. La major de Sinik s’est opposée à la sortie. Elle m’a même menacé de poursuites judiciaires si jamais je le faisais paraître. »
Hors Serim 2, qui devait sortir nationalement et être
distribué par Musicast, finira par voir le jour plus tard. Mais certainement pas dans les conditions qu’auraient souhaitées Reeno. « Suite à une longue période d’absence, de pseudos amis se sont sentis investis d’une mission et ont voulu récupérer le projet pour le vendre d’une manière ou d’une autre. Ils ont réussi à tout écouler alors que je n’étais pas là. Lorsque je suis revenu pour récupérer mon dû, ils m’ont parlé chinois. Mais bon, étant donné qu’il s’agissait de connaissances de longue date, j’ai fermé les yeux. J’avais d’autres soucis plus importants, qui m’ont fait passer à autre chose. Les personnes à qui j’en ai le plus voulu étaient Sinik et son entourage. Il existe des choses qui ne se font pas. »
Malgré ces déboires et après « une petite période d’absence »,
Reeno parvient à trouver la force et la motivation pour enchaîner avec le
troisième volet de Hors Serim. C’est avec
Nacedo qu’il décide de travailler cette fois. « On traînait ensemble, il rappait bien. On a sorti
Hors Serim 3 avec la
distrib’ Satellite Music, qui a fait n’importe quoi. »Malgré une bonne promotion (plusieurs clips tournaient en télévision), ce projet n’a pas rencontré le succès escompté. « Heureusement que j’ai toujours eu la passion du rap pour continuer. C’est peut-être aussi le fait de ne jamais eu avoir de trop grosses ambitions dans ce monde que j’ai continué à pratiquer cet art. Si j’avais eu de grosses ambitions, j’aurais mis de gros moyens. Ce que je n’ai jamais fait jusqu’à présent. » On ne reste pas sur une défaite, et ça, « R2 » l’a très bien compris.
L'Ulissien se consacre ensuite au
quatrième volet d’Hors Serim, qui s’apparente à un
best-of des trois premiers, agrémentés de
quelques titres inédits. « C’était pour avoir une actualité et bonifier mon travail passé.
Certains morceaux que j’avais pu sortir n’avait pas eu assez d’exposition à mon goût. » C’est notamment le cas de Position Feu, en featuring avec le rappeur américain
Inspectah Deck, du
Wu-Tang. « C’est
DJ Myst qui est à la base de cette collaboration. Il m’a annoncé qu’Inspectah Deck était à Paris et cherchait à faire des featurings. Je lui ai alors demandé de lui faire écouter quelques-uns de mes sons. Il a kiffé et on s’est retrouvés en studio. C’était magnifique pour moi qui était un grand fan du Wu-Tang. On a tizé du champagne, fumé des joints et enregistré. Il était venu avec des biatchs ! On a passé une soirée de ouf et on s’est revus par la suite, à
Générations, en
boîte de nuit, en
concert, etc. Il a même parlé de moi à l’occasion d’une
interview donnée au
magazine The Source ! »
Sur
Hors Serim 5, « Airdeux » choisit de mettre
Hulk sur un piédestal. Ou plutôt pour lui rendre service.
« Je ne me suis jamais senti assez puissant pour mettre quelqu’un en lumière, même si j’aurais kiffé. Hulk enregistrait énormément de morceaux, mais n’avait pas de structure derrière lui. On était tout le temps en studio ensemble, la collaboration s’est donc faite naturellement. » Ce projet rencontre un joli succès d’estime, en partie grâce au site Hors-serim.com. « J’avais mes petits relais en province, en Belgique et en Suisse. Je vendais mes CD’s en ne m’en sortant pas trop mal. » Pour le
volume 6,
Reeno opère un petit retour aux sources, en travaillant avec son « collègue »
Templar d’Ul’Team Atom. Un choix qu’il regrette aujourd’hui. « Depuis le jour où ce projet est sorti, je n’ai plus eu de nouvelles de Templar. On a passé des heures à enregistrer le projet, à le mixer, le masteriser… A l’arrivée, le jour où il est sorti, il n’y avait pas un clip, pas une radio pour diffuser un morceau, pas une interview pour en parler. Rien… Pourtant, je ne m’étais jamais investi autant sur un autre projet. C’était un travail professionnel qui aurait mérité un contrat de licence.»
Avec beaucoup de déceptions mais sans le moindre regret concernant tout son parcours,
Reeno décide de tourner une page de son histoire rapologique pour se lancer
en solo.« Mon père m’a toujours appris à rebondir. « Ne pleure pas, il t’arrivera mieux », me disait-il. Depuis tout jeune, j’ai cette phrase dans la tête. Dès que je subis un échec ou une galère, je ne m’alarme pas. Tout seul donc, dans ma bulle, j’ai commencé à enregistrer de nouveaux sons. » Au mois d’
octobre 2014,
En attendant mon album voit le jour.
« Le concept est simple : j’ai fait énormément de morceaux dans ma carrière, en collaboration avec des artistes de France et de Navarre. Je suis toujours allé kicker avec sincérité, dans le plus grand des respects. J’ai récupéré les titres que j’estime être les meilleurs, en y ajoutant 3 solos. » Résultat : une
street-compilation de qualité, avec des invités comme
Prince D’Arabee,
Karlito Cezar,
Zeti,
Grödash,
Scar Logan,
Raiders &
Marcos L’espagnol, permet de constituer une mise en bouche agréable avant le plus grand projet que s’apprête à dévoiler l’
Ulissien. « Attention, ce ne sont pas des fonds de tiroir. Je disposais d’une cinquantaine de morceaux, au sein de laquelle j’ai opéré une sélection naturelle. Des projets comme ça, je peux en sortir deux ou trois autres. D’ailleurs, il y en aura d’autres ! En attendant mon autre album. »
Nombreux sont les rappeurs français à voir la sortie de leur premier album solo comme une finalité. L’horizon de « R2 » est plus lointain. «
Je pars sur plusieurs albums. Le premier ne sera le dernier que si je meurs. » Sur ce premier effort solitaire, le côté intimiste sera mis en avant. « Je me prends vraiment la tête, c’est un vrai travail. » Toutefois, le feeling reste toujours présent, notamment pour la sélection des instrus. « J’ai reçu des prods d’un peu partout et j’ai fait un tri. A l’arrivée, j’ai choisi celles que j’estimais être les meilleurs. » Le nom du
concepteur musical qui revient le plus fréquemment est celui de
Sonar. Malgré les mésaventures liées à Hors Sérim 6, Reeno est resté en bons termes avec les
beatmakers de
The Futur Industry, qui font également partie des architectes sonores de son LP. Pour choisir les thèmes qu’il aborde, l’ancien membre d’
Ul’Team Atom s’inspire souvent des instrus qu’il reçoit.
Justement, quels seront les principaux thèmes évoqués sur l’album ? « Le premier
morceau qui me vient en tête s’appelle
L’école de la rue. Évidemment, c’est un thème que je n’ai pas inventé, mais je l’ai fait
à ma manière. J’y compte l’histoire d’un petit de quartier, de son plus jeune âge jusqu’à l’âge adulte, avec toutes les étapes qui vont avec. J’ai été père de famille assez tôt. Ça responsabilise, ça fait de toi un homme plus rapidement que ceux qui n’ont pas d’enfants. C’est un titre que j’ai bien construit. Je l’ai posé de multiples fois et je le clipperai. Sinon, j’ai baptisé un autre morceau
Amicalement vôtre, en référence à ce que peut m’évoquer l’amitié. » Grand
fan d’UFC (Ultimate Fighting Championship), le rappeur a aussi choisi de consacrer un titre à ce sport de combat. Au niveau des sonorités, il n’a pas cherché à suivre les tendances actuelles. « Je fais mon actualité. Je dois dire que je n’aime pas trop ce qui se fait en ce moment. Après, il ne faut pas rester sur un style unique de rap. Mais j’essaie de développer une identité propre.
Le mot vérité est celui qui résume le mieux ma musique. »
La première des influences de
Reeno n’est autre que
la lecture. « Je lis pas mal de livres. Le dernier en date que j’ai décortiqué est l’autobiographie de Mike Tyson (Ndlr : La vérité et rien d’autres). Sinon, je m’intéresse beaucoup à
l’actualité, en particulier les
faits divers. » Musicalement, « R2 » a été traumatisé par la grande école new-yorkaise des années 90, avec des groupes comme le Wu-Tang ou Mobb Deep. « En rap français, je n’ai pas eu d’inspirations majeures, même si j’ai beaucoup écouté MC Solaar, Time Bomb, Secteur A, IAM… »
Depuis le début de sa carrière,
Reeno a toujours jouit d’une grande indépendance. « A l’heure actuelle, je n’ai pas de manager, je fais ce que je veux.
Mon objectif est de sortir mon album proprement, qu’il soit de qualité et que les retours soient bons, comme cela a toujours été le cas pour mes projets antérieurs. C’est ça qui donne la force pour continuer ! » Quant à la scène, le MC originaire des Ulis ne l’a jamais négligée. « Je kiffe ça ! J’en ai fait beaucoup depuis le début de ma carrière, surtout à l’époque d’
Ul’Team Atom. En 2005, The RZA, Inspectah Deck et Raekwon faisaient un concert au Cabaret Sauvage. Ils m’ont fait monter sur scène, j’ai balancé un 16 mesures et j’ai été grave applaudi à la fin. »
Plus de 30 années auront passé avant que
Reeno ne livre son premier album. Arrivé à maturation comme un excellent vin, « Binou » s’apprête à livrer un grand cru.