La sortie d’un nouvel album de Rocé est toujours un événement. On retient son souffle en ouvrant le film de cellophane comme un cadeau précieux, impatient de découvrir les surprises que l’artiste nous réserve, car il y en a forcément. Inclassable, le rappeur philosophe sait se trouver là où on ne l’attend pas sans jamais pour autant s’éloigner de ses fondamentaux : « un rap des ronces, qui défonce, parce qu’il dénonce » (j’rap pas pour être sympa).
Avec Gunz n’Rocé, écho lucide d’une réalité abrupte, d’une société sclérosée en régression, Rocé invite à la clairvoyance et au combat. On l’écoute pour monter sur le ring avec lui, pour s’élever, et il nous entraine d’ « assis sur une pierre » à « assis sur la lune » en un boom-tchak de beat. Tout ce qui fait la particularité et le succès de Rocé est là, textes fleuves corrosifs, flow à haut débit, voix grave et mate, un son des tréfonds… Résultat : une plongée « en apnée » dont on ressort grandi. C’est puissant et percutant. Etonnant et savoureux. Dense et grave.
L’album fait se côtoyer le jazz, les grosses basses et les cris de singes, les percussions du Maloya (musique réunionnaise héritée du chant des esclaves) et les breakbeats de rap hardcore, les trompettes de soul et les riffs de guitare électrique.
Une chanson (Magic) est dédiée à DJ Mehdi récemment décédé, le célèbre DJ qui avait le premier signé Rocé sur son label « Espionnage » en 1996.
1996, pour Rocé, c’est aussi l’année du tout premier maxi. Déjà, avec son insatiable curiosité, il trace un chemin résolument en dehors des sentiers battus.
Un éclectisme à la mesure du personnage : né à Bab El-Oued d’une mère algérienne et d’un père argentin d’origine russe, élevé à Thiais en banlieue parisienne, Rocé n’a jamais pu se contenter d’un seul paysage, d'une seule culture.
Si le hip hop est sa véritable passion (forgée dès l’âge de douze ans à l’écoute des pionniers du rap français qu'il découvrait sur Radio Nova), il a toujours cherché à le transcender, pour aller ailleurs, le plus loin possible.
Premier album : "Top Départ" en 2001.
Puis en 2006, le deuxième : "Identité en crescendo". Salué par une presse unanime, l’opus rassemble le légendaire saxophoniste Archie Shepp, le trompettiste et linguiste Jacques Coursil, mais aussi Gonzales le pianiste fou, et Antoine Paganotti, chanteur et batteur dans le mythique groupe Magma.
En 2010, troisième album de Rocé : « L’être humain et le réverbère », où toujours au moyen de formules saisissantes, il approfondit les thèmes qui lui sont chers, comme l’existence, l’apologie du doute, la critique d’une société prétendument égalitaire.
Bousculer les idées reçues pour mieux avoir foi en l’individu, si Rocé avait un credo, ce serait celui là. "J’aime les expériences, la témérité artistique. J’aime emprunter plusieurs chemins en même temps. »