A 34 ans, Morad fait office de survivant. Issu de la grande époque du rap français qu'il a traversé avec son collectif Scred Connexion (Fabe, Koma, Haroun, Mokless), le MC du XVIIIème n'a jamais laissé tomber son stylo malgré les années qui filent, les modes et les tendances qui passent. « Le survivant », son premier disque solo, largué au terme de ce parcours qui force le respect, lui ressemble : un disque de rap adulte, en prise directe avec la réalité, défait des clichés qui refusent de grandir et des fantasmes qui peuplent le rap. « Ni suspense, ni mytho », comme il le dit lui-même, Morad y raconte sa vie, éclairée par les lumières crues d'un verbe simple et brut. Un vocabulaire quotidien qui ne (se) raconte pas d'histoires, une honnêteté rare dans ce milieu ravagé par la folie des grandeurs. Ici, il n'est pas question de cocaïne au quintal ni d'esbrouffe à la Scarface, mais plutôt de tracas quotidiens, d'une enfance dans un quartier populaire (« La vie de quartier »,« Te prends pas l'chou »), de rêves encore vivaces et de bonheurs au coin de la rue (« Encore vivant »). Un rap brutalement honnête, tel qu'il se vit du côté de la Goutte d'Or, bastion de ce hip-hop authentique qui n'a jamais dévié de son impeccable ligne artistique. Pour autant, « Le survivant » n'est pas un disque de la Scred Connexion. « On est dans quelque chose de personnel, dans mes propres expériences, mes propres échecs ou mes réussites, explique le rappeur. Travailler en solo permet de se regarder en face, c'est différent de ce qui se joue en groupe ». Avec « Le survivant », Morad creuse en effet une veine intime, évoque les erreurs de parcours, « tous ces trucs qu'on a du mal à écrire », les années de dope et un passage au placard dont il ne se fait pas une gloire, préférant en tirer quelques-unes des rimes les plus touchantes du disque (« Dégage le passage », « Un point c'est tout »). Ce qui ne l'empêche pas de montrer les dents, d'emboîter de l'ego au kilomètre et de renvoyer dans les cordes les crews d'en face sur « Chakchouka » ou sur le rap contact « Sans refrain », portrait au vitriol de la société moderne. La puissance d'un kickeur, le verbe d'un auteur. © Thomas Blondeau